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Sorcières #7 : sorcières contemporaines


C'est un fait que nous observons depuis quelques années, la sorcière, plus forte que jamais, est revenue envoûter notre société.


Mais qui sont ces sorcières nouvelle génération ? D'après mes recherches, il y aurait deux facettes du mythe de la sorcière contemporaine : celle politique, féministe et l’autre qui se définirait comme ésotérique, spirituelle et en lien avec la nature. La stigmatisation de la figure de la sorcière est devenue une force collective et donc un marqueur identitaire.


Cela fait bientôt une année que j’écris cette série d’articles mais nous n’avons pas encore abordé la thématique de la sorcière devenue icône à bien des égards… Je te propose de partir à la rencontre de ces quatre femmes, chacune un peu sorcière à leur façon, que je remercie pour leur disponibilité et fort enthousiasme pour ce projet.

A vos balais !



MANE - CHANTEUSE ENSORCELEUSE


Jeune chanteuse à tendance pop-électro, la lausannoise Mané a été ma révélation lorsque je l’ai entendue interpréter son titre “witches” à la grève des femmes le 14 juin 2020. « Ce titre est dédié à toutes les femmes qui ont été brûlées au cours des siècles en tant que sorcières et appelle à se-reconnecter au pouvoir sacré et magique, empli de lumière, que chaque femme détient en son centre. » La chanson sortira en single courant 2021 et le clip devrait être tourné dans une ambiance des plus mystiques.


ECRITURE ET COMPOSITION « A plusieurs reprises dans ma vie on m’a qualifiée de sorcière. Je me rappelle à l’époque en avoir une image très caricaturale avec un chapeau pointu, un nez crochu… Une femme horrible à vrai dire. Pourtant ces personnes avaient une attitude bienveillante et ouverte à cette connexion avec la sorcière. Je l’ai compris et adopté plus tard. » confie la musicienne.

La composition de “Witches” s’est faite par le biais de plusieurs éléments : la rencontre avec Joelle Mellioret (chamane et guérisseuse) autrice de la chanson “Marchons ensemble” qui célèbre les soeurcières, le livre de Mona Chollet et plusieurs documentations diverses. L’idée était nichée en elle depuis longtemps, et puis un après-midi, le refrain entonné par le slogan féminsite a résonné en elle comme une évidence we are the granddaughters of the witches you couldn’t burn. Le reste a naturellement suivi : « Je sentais que je devais composer avec le tambour chamanique car il me connecte d’une certaine manière à ma sorcière. [...] Je souhaite dédier cette chanson aux femmes mais aussi aux hommes qui se réveillent.» Le titre est chanté en anglais car Mané a étudié à Londres et possède un fort attachement pour cette langue. Les autres morceaux sur les sorcières actuellement en cours d’écriture sont écrit en français. Elle rêve d’ailleurs d’un beau projet : « Je voudrais créer un événement (spectacle, concert etc.) avec ces prochaines chansons autour de la thématique de la sorcière en compagnie d’autres artistes. »

Mané entonnant l'hymne des sorcières avec son titre "Witches" © Audrey Art Photography

A QUOI RESSEMBLE UNE SORCIERE AUJOURD'HUI ?

« La représentation de la sorcière est propre à chacun.e.x. Pour moi, c’est une énergie qui naît de l’intérieur et se développe vers l’extérieur. J’ai écrit un texte qui me semble assez complet sur cette connexion que j’entretiens avec la sorcière :

La sorcière est un être libre, sauvage, profond.

Elle observe ce qui se passe en elle et est témoin de ce qui la traverse.

Elle accueille ses peurs, ses insécurités, sa fragilité, sa vulnérabilité, sa honte, sa fierté, ses ombres et sa lumière.

Elle ose exprimer sa vérité intérieure, même quand celle-ci est inconfortable.

Elle s’assume dans son être tout entier, avec ses parts les plus sombres comme les plus lumineuses, en refusant de se soumettre, de se laisser domestiquer et de contenir son rayonnement intérieur.

Elle reprend son pouvoir et sa lumière, ceux là même qui furent arrachés à ses ancêtres par crainte de leur puissance lumineuse.

Elle se respecte, pose ses limites quand il le faut, exprime ses besoins, ses envies, ses émotions et son amour, sans aucun compromis.

Elle transforme et guérit ses blessures : celles qui lui ont été léguées dans ses anciennes vies, transmises par la lignée de ses grand-mères ; celles qu’elle porte en elle depuis si longtemps dans sa chair et dans son âme.

Elle reprend possession de sa force, de son savoir ancestral, intuitif, en lien avec la nature, la louve, la lune, le sang des lunes, les étoiles et l’océan.

Elle re-connecte avec son intuition la plus pure.

Plonger dans sa fragilité lui confère toute sa force et sa beauté.

Elle habite son corps, et ose prendre sa place.

Elle rayonne de tout son être.


Elle est magique, mystique et son esprit est présent en chacun.e.x de nous. »


UN RITUEL OU UNE FIGURE DE SORCIERE MARQUANTE ?

« Cet été, j’ai ressenti le besoin de me reconnecter à ma féminité. J’ai donc créée un petit cercle composé d’objets qui me parlent (bougies, fleurs séchées, bijoux…). Je donne une signification à chaque objet - comme un collier qui représente ma vulnérabilité ou mon pouvoir etc. - puis je m’assieds dans le noir avec mes bougies. Je ne saurais pas expliquer concrètement ce qui se passe, je dirais que cela représente une forme de méditation. Je le vis comme un retour à soi. Je chante et des paroles ou des dessins me viennent. En parallèle, j’aime tirer les cartes et je suis très connectée à la lune ainsi qu’à mon corps (dont mes règles).

Je n’ai pas une figure de sorcière connue qui m’a marqué, je voudrais plutôt citer toutes les femmes qui m’entourent dont Joelle qui m’inspire énormément. Grâce à elle, j’ai fait la connaissance de plein d’autres femmes sorcières. »


MARTINE OSTORERO - LA MEMOIRE DES SORCIERES



Professeure d’histoire médiévale à l’université de Lausanne, autrice de multiples ouvrages sur la sorcellerie et la démonologie chrétienne, et commissaire scientifique de l’exposition « La Chasse aux sorcières dans le Pays de Vaud (XVe-XVIIe siècle)» au Château de Chillon en 2011-2012, discuter avec Martine Ostorero me semblait tout indiqué.


Martine est cartésienne, réflexion découlant certainement de sa profession d’historienne et déclare que oui, la sorcellerie démoniaque n’existe pas hors du cadre judiciaire. Elle s’y est d’ailleurs heurtée lorsqu’elle fut commissaire d’exposition au château de Chillon avec cette première problématique : les objets matériels liés à la sorcellerie. «...La sorcellerie présente un véritable défi à mon sens car elle constitue un crime imaginaire, transformé et imaginé par des autorités religieuses, politiques et judiciaires mais elle n’existe pas en tant que tel. On compte de nombreuses personnes accusées de crimes de sorcellerie mais concernant la sorcellerie elle-même, il est très difficile de saisir son importance et ses pratiques notamment pour le Moyen Âge car nous ne possédons pas de témoignages directs.» Elle m’explique que les magiciens ou sorcières détournaient les rituels chrétiens et usurpaient la puissance des sacrements (vols d'hosties pour les rituels, pratiques de baptêmes etc.). « Pour réaliser un rituel de guérison, la personne – ceci est encore d’actualité – va réciter des prières, se placer sous l’évocation d’un.e saint.e, fabriquer peut-être quelque chose en mélangeant deux-trois herbes à un moment précis. »


LA SORCIERE ETAIT-ELLE DETERMINEE PAR SON GENRE ?

«J’ai été amenée à travailler sur les premiers procès de sorcellerie dans la région lémanique, à Vevey, ou encore dans celle d’Yverdon, et l’on compte 70-80% d’hommes inculpés. Ceci démontre qu’il ne s’agit pas d’une accusation ou d’un crime fabriqué exclusivement contre les femmes. Les premiers textes normatifs ou polémiques dénoncent les crimes horribles d’hommes et de femmes se rendant au sabbat pour adorer le diable ou comploter pour renverser la chrétienté et/ou détruire le bien commun. Ceci concorde également avec la réalité judiciaire - du moins au Pays de Vaud - où on dénombre une grande quantité d’hommes inculpés pour sorcellerie. On relève progressivement une féminisation de la criminalité pour des raisons qui ne semblent pas si claires… »

Martine constate qu’il n’y a pas un profil type de femme sorcière, elle est d’ailleurs très différente du stéréotype que l’on dresse aujourd’hui à savoir une femme qui s’érige contre l’autorité et qui vit en marge. Ce sont d’ailleurs souvent des femmes bien insérées dans leurs communautés. « Les sorcières sont désignées autant comme des veuves fortunées ou non, que des jeunes ou des vieilles, ou encore des femmes avec des enfants que des célibataires. [...] Dans l’exposition au château de Chillon nous avions installé à la fin du parcours un panneau où il était écrit « Et la sorcière, c’est qui? » avec un grand miroir. En somme, tout un chacun peut être victime d’une accusation de sorcellerie. »

Le château de Chillon se pare ici pour sa célèbre nuit de l'épouvante. C'est ici que furent torturées et que périrent un grand nombres de sorcières dans la région © Visite la Suisse
Le Château de Chillon possède une sombre passé dans la chasse aux sorcières. © Visite la Suisse

LA SORCIERE MEDIEVALE VS LA SORCIERE CONTEMPORAINE Comme indiqué précédemment, la sorcière dite médiévale n’est ni rebelle ni radicalement marginale. Elle connaît le Credo sur le bout des doigts, est pieuse et baptise ses enfants. Pour l’historienne la construction contemporaine de la sorcière incarne des valeurs d’empowerment, fondamentalement rebelle et qui a son mot à dire par rapport à l’ordre établi. C’est un féminisme à la Mona Chollet, une reprise à la fois de pouvoir et de son corps. « Cette réalité contemporaine contraste avec la réalité des grandes chasses aux sorcières. [Je pense qu’il existe deux figures :] l’une plus politique/féministe et l’autre au service de la société et des individus pour faire du bien, soulager des maux, avoir une écoute, dans une démarche plus psychologique. Je n’arrive pas forcément à lier ces deux figures car j’ai l’impression qu’elles ont un champ d’action différent. [...] J’ai l’impression que l’ésotérisme – j’entends par là le besoin de rites, invocations, cercles magiques, pentacles, etc. – est clairement emprunté de la magie médiévale. Je donne un cours cette année à mes étudiant.e.s sur les arts magiques et nous examinons des rituels avec des pratiques de fumigation, des invocations d’esprits, des cercles magiques, etc. J’aimerais souligner que même les gens à l’époque s’amusaient un peu car la magie constituait une source de divertissement, bien qu’elle soit aussi fortement mobilisée dans des procès politiques, pour discréditer un adversaire. J’ignore si c’est un point commun entre les deux courants car il n’y a pas besoin de l’ésotérisme pour avoir un message politique/féministe, comme il n’ y a pas besoin de revendications féministes pour pratiquer des secrets de guérison. Je ne sais pas ! »


Enluminure de Martin Le Franc, Le Champion des dames, XVe siècle.

ET L'ECOFEMINISME ?

« Je sens une énorme confusion à ce stade car l’écologie au Moyen Âge n’est absolument pas une problématique. L’Homme est au centre de l’univers et la nature est à son service, une vision très anthropocentriste. Les personnes accusées de sorcellerie ne se revendiquent pas grandes prêtresses de la nature et je décèle une confusion avec le néo-chamanisme, le néo-paganisme que nous ne voyons pas véritablement poindre en Suisse romande à la fin du Moyen Âge ou au début de l’Ancien Régime. A mon avis les croyances païennes, celtiques, chamaniques avaient complètement disparu de nos espaces car la christianisation présente depuis le VIème siècle a bien fait son boulot. Une possibilité reste ce que l’Eglise a qualifié de superstitions, donc différentes pratiques qui ne se basent pas sur des cultures païennes, celtiques, chamaniques etc. mais qui consistent plutôt en des inversions ou des détournements de rituels chrétiens. »


UN EVENEMENT MARQUANT DANS LE CANTON ?

Pour Martine, c’est le procès de Catherine Quicquat à Vevey en 1448, qu’elle a édité et traduit, qui lui vient à l’esprit. Il s’agit de la première chasse aux sorcières dans la région pour laquelle il existe des documents judiciaires très complets. Catherine Quicquat est accusée parmi d’autres hommes de sorcellerie et les juges (inquisiteurs, donc religieux) orientent leurs questions sur sa sexualité au sabbat, avec le démon ou les animaux. Ce traitement n’est pas le même avec les autres hommes incriminés en même temps qu’elle : «...Il y a clairement une perversité car les juges veulent démontrer que derrière cette femme se cache une débauchée sexuelle. A cette occasion j’ai relevé des traces de misogynie de la part des autorités répressives, que ce soit de la part des juges laïques ou des ecclésiastiques. [...] Ces juges de l’époque enquêtent sur cette sexualité diabolique car elle est complètement contre-nature et hors norme.» Dans une scène traditionnelle de sabbat, il est question d’orgie et les femmes ont des rapports sexuels avec le démon. Les juges interrogent Catherine Quicquat sur les détails de cet acte charnel : la pénétration faisait-elle mal ? La semence du démon était-elle froide ou chaude ? « J’ai le sentiment qu’au fur et à mesure de leurs questions, ils tentent de se convaincre eux-mêmes de cette invention qu’ils contribuent à alimenter. Ainsi, l’argument de la sexualité débridée se propage dans les procès pour femmes contrairement à leurs homologues masculins.»


VIVIANNE DELLAMORE - PRETRESSE DE PVSSY COVEN

© Stee Vonlanthen

Drag king, strip teaseuse, performeuse burlesque, Vivianne Dellamore voyage à travers l’Europe pour sa passion du spectacle. Elle officie également comme thérapeute en sexothérapie et auprès de personnes victimes de violence. Depuis peu, elle anime un pvssy coven lorsqu’elle pose à nouveau ses valises à Lausanne : deux heures en petit groupe de lâcher prise, de sororité, d’auto-massage des seins/torse et de danse. Un moment de reconnexion avec son corps dans un espace-temps magique.


EN QUOI CONSISTE UN PVSSY COVEN ? « Il s'agit d'un cercle limité et fermé avec des femmes cis, personnes non binaires, femmes trans... Ce coven se veut inclusif et a lieu une fois par mois environ. L’idée est de ressentir l’énergie des autres, du cercle, pour s’empouvoirer de façon individuelle. On vient réveiller sa propre énergie sexuelle au sein du cercle sans contact avec les autres personnes. »

L’idée du pvssy coven lui est venue lorsqu'elle a déménagé à Genève (assez isolée car peu de réseaux) et Vivianne décide alors d’investir son temps libre dans la médiation, le yoga et la spiritualité “witchy”. Durant deux ans, elle pratique, lit sur le sujet puis conçoit ses propres rituels de “nettoyage” et de “passage”. « De façon très instinctive j’ai remarqué ce qui me faisait du bien et quelles symboliques je souhaite utiliser pour me libérer. Les rituels que j’utilise dans le pvssy coven sont des choses que j’ai faite pour moi.»

Ainsi, Vivianne décide de créer un espace basé sur la créativité, le mouvement, la musicalité, la reconnexion à soi et la sexualité positive comme outil de puissance et de bien-être. « Je me considère gender fluid et je reste assez critique sur la binarité de genre que l’on retrouve dans des mouvements spirituels modernes. C’est intéressant mais je ne m’y reconnais pas car je ne suis pas une femme cis à 100%. Dans cette vague spirituelle on peut parfois entendre que les « femmes » sont des êtres émotifs et les « hommes » des êtres dynamiques, ça me tend, c’est clivant, réducteur et pas féministe ! Venant d’une culture plutôt goth, j’aime la noirceur, aborder le côté sombre de la spiritualité et les tabous (sexe, souffrance, colère, maladie mentale,... ). J’avais envie de créer des espaces spirituels avec ma culture [...] en étant vigilante aux notions comme l’appropriation culturelle (musiques, archétypes,…) l’inclusion et le féminisme intersectionnel. [...] Et puis je me suis dite go, je fais ce que j’ai envie de faire et on verra si ça prendra ! »

Son expérience de direction de stage dans son métier de performeuse a pris tout son sens. Elle utilise sur les 2 heures du coven une playlist de chansons d’artistes femme.x.s qui lui ont donné la permission d’utiliser leurs titres dans ce cadre (comme la musicienne Golem Mecanique).


LE PUBLIC DU PVSSY COVEN

Lors d’un pvssy coven, il y a un moment où l’on se déshabille, où l’on est seins/torse nus (on peut si l’on souhaite se mettre en slip lors de la danse). Vivianne remarque que presque tout le monde le fait volontiers. La personne est toujours libre de choisir tout du long si elle souhaite mettre un paréo, se masser par-dessus/par-dessous ou (presque) tout enlever. « Il y a tout un panel d’options pour que la personne puisse respecter ses limites et c’est très important. Il y a aussi un apprentissage de se dire “moi je me sens de faire quoi ?”. L’idée n’est pas de pousser les gens à se mettre à poil mais qu’iels puissent elleux-même expérimenter pour être confortable et en confiance. Constater qu’à la fin du coven, une grande partie les personnes se sont suffisamment senties en confiance (et elles le disent elles-même) pour se mettre dans l’état de libérer leur corps aussi des vêtements à la hauteur de ce qu’elles avaient envie de faire en se respectant c’est énorme. Beaucoup le disent “Je n'imaginais pas pouvoir le faire et finalement je m’en suis foutue pour partir dans mon délire. Je n’avais pas peur qu’on me regarde, qu’on me juge”. C’est priceless ! »

Un moment fort en émotions est souvent le final ou les participant.e.x.s récitent les yeux fermés, de plus en plus vite et fort, des slogans féministes en coeur. Cette énergie groupale est cathartique. « Pour la majorité, les personnes ne se connaissaient pas, ne se sont jamais vues et ne vont probablement jamais se revoir. On se rend compte qu’on peut sentir l’énergie de l’autre sans qu’on n’ait rien à échanger ou à donner. »


Bannière du Pussy coven devenu depuis peu le Pvssy Coven dans un souci d'inclusivité

A QUOI RESSEMBLE UNE SORCIERE AUJOURD'HUI ?

« Je m'attache beaucoup à l'histoire du Malleus Maleficarum [texte misogyne utilisé lors des chasses aux sorcières au XVe siècle en Europe, réédité à de nombreuses reprises malgré l’interdiction à sa 1ère parution de l’Eglise catholique en 1490] où un code a été écrit en décrivant tout ce qui était à bannir chez les femmes. C’est très important [aujourd’hui] lorsqu’on se présente en tant que sorcière de garder ça en tête. C’étaient des femmes qui avaient un pouvoir parce qu’elles étaient éduquées, autonomes, libres et qui ont été torturées et brûlées pour cela. Il ne faut pas l’oublier et c’est ce qui peut me gêner parfois dans certains mouvements. » Pour Vivianne, la sorcière contemporaine a une résonance politique, rebelle, créative, de savoir, d’indépendance, de queerness, de puissance et va à contre-courant de la pensée mainstream. Elle est aussi très en lien avec la nature, l’écologie et la connexion au vivant.


UN RITUEL OU UNE FIGURE DE SORCIERE MARQUANTE ?

« J’aime me référer à des personnalités comme des musiciennes, des autrices voire même des popstars qui sont pour moi de nouvelles déesses et sources d’inspiration fortes et badass. Betty Davis, Virginie Despentes ou bien CardiB... Les rituels qui me parlent le plus sont ceux de « nettoyage » que je crée. Je me rends compte que régulièrement je dois utiliser de l’eau, aller dans la forêt, toucher le sol. J’utilise beaucoup la sexualité dont la masturbation dans ma “spiritualité” [...] dans le sens où l’énergie orgasmique va permettre un « lavage ». [...] Je m'identifie comme quelqu’un de militant, sex positiv, et ça a une place très importante dans mes rituels. »


MAGALI JENNY - L'APOTRE DES GUERISSEUR.SE.S


Magali a enfourché son balai contemporain ! © François Busson

L’ethnologue Magali Jenny est l’autrice du best-seller «Guérisseurs, rebouteux et faiseurs de secret en Suisse romande» qui a connu de nombreuses rééditions. Pour rappel, un.e. guérisseur.se est une personne sans formation médicale détenant un don. Certaines d'entre elles peuvent soigner certains maux (brûlures, verrues, saignement hémorragiques etc.) à l’aide parfois d’une formule qui leur est propre appelée “le secret”. Le terme générique de guérisseur.se comprend plusieurs catégories comme les magnétiseur.euse.s, rebouteux.euses et faiseur.euse.s de secret. Ce don ou ces savoirs peuvent être innés ou se transmettre de génération en génération..


EST-CE QU'UN GUERISSEUR.SE EST UN.E SORCIER.E ?

« La première preuve écrite que nous possédons de l’existence du secret [utilisé par certain.e.s guérisseur.se.s] provient des procès pour sorcellerie où hommes et femmes le révélaient sous la torture. Durant de nombreuses années, j’ai imaginé que dans 90% des cas la sorcière était une guérisseuse. [...] En échangeant avec une historienne j’ai compris que ce n'était pas le cas ; cette chasse aux sorcières était une épidémie de dénonciations. Les témoignages obtenus durant cette période, la plupart du temps sous la torture, sont donc à prendre avec “des pincettes”. [Le lien avec] la sorcière peut évidemment être fait, mais reste à voir dans quelles mesures... Tout ceci reste dans le flou. »


L'ORIGINE DES FAISEUR.SE.S DE SECRET


« A partir des informations récoltées durant mes entretiens avec les guérisseur.se.s - sans aucune preuve historique je précise - il en ressort que le secret proviendrait des druides celtes ayant résidé en Suisse Romande où il existait des sites assez importants. A l’installation du catholicisme et en particulier au moment de l’Inquisition [1438 - 1528 d’après mes recherches] qui a engendré cette chasse aux sorcières, les personnes interrogées sous la torture étaient prêtes à tout pour éviter d’être considérées comme des païen.ne.s et de terminer ses jours sur le bûcher ; les formules de guérison auraient ainsi été reformulées pour les adresser à des saint.e.s catholiques au lieu des divinités celtes. C’est à ce moment-là également qu’elles seraient devenues secrètes, d’où leur nom [...] Actuellement, les plus réfractaires aux pratiques des guérisseur.se.s sont les églises évangéliques qui assimilent ces pratiques à un appel au Diable ou des entités maléfiques. C’est du moins le discours que j’ai pu récolter auprès de certaines églises évangéliques.»


LES GUERISSEUR.SE.S EN EUROPE ET EN SUISSE


De ce que me raconte Magali, la perception des guérisseur.se.s en France est catastrophique car ceux.lles-ci sont accusé.e.s de pratique illégale de la médecine et les personnes qui y font appel sont jugées comme “faibles d’esprit” par une société laïque et ultrascientifique. On trouve des guérisseur.euse.s en Italie également, mais iels ne peuvent pas pratiquer sous n’importe quelle condition. En Allemagne, les guérisseur.se.s sont moins considéré.e.s que les thérapeutes qui ont suivi une formation mais détiennent une petite possibilité d’exister. Espagne, Portugal, pays scandinaves...En fin de compte, l’Europe regorge de guérisseur.se.s et Magali attire mon regard sur l’exception suisse. « La grande particularité de la Suisse réside en la pratique assez libre des guérisseur.se.s. tant que ceci reste dans la norme culturelle fixée depuis des décennies.[...] Je n’avancerais pas que cette pratique a été facilement acceptée par les médecins suisses, mais il semble que cela devienne moins dérangeant que des personnes fassent désormais recours aux guérisseur.se.s à côté des soins médicaux. Certains expliquent ces guérisons par l’effet placebo ou autre. Dans tous les cas, l’important est cette avancée. »



LES REGIONS LES PLUS MYSTIQUES DE SUISSE


« De premier abord, j’ai pensé aux cantons catholiques et ruraux dont le Jura et Fribourg en tête et le Valais juste derrière. Pourquoi ? Parce que ce sont les cantons où l’on parle le plus librement de ces pratiques je dirais… En réalité, j’ai trouvé des guérisseur.euse.s partout : Vaud, Genève, Neuchâtel et en Suisse alémanique également. [...] J’ai constaté également que plus les endroits ont - et encore à l’heure actuelle - tendance à être isolés géographiquement plus on trouve de guérisseur.se.s qui pratiquent. Pour mieux comprendre il faut se projeter une centaine d'années plus tôt, lorsque certaines vallées étaient fermées l’hiver et que les gens devaient se débrouiller. A cette époque, il existait très peu de médecins pour soigner les êtres humains ainsi que le bétail et ils ne pouvaient pas toujours se déplacer. Ces régions “coupées du monde” pouvaient donc compter sur des guérisseur.se.s en cas de problème. »


A QUOI RESSEMBLE UNE SORCIERE AUJOURD'HUI ?


L’autrice possède une vision très positive de la sorcière contemporaine. Les guérisseuses qu’elle côtoie lui confient qu’on les surnomme parfois “gentille sorcière” ou “petite sorcière”. L’image a donc bien changé et elle a évolué vers le positif. Elle s’en réjouit : « Même indépendamment des milieux féministes, les femmes se reconnaissent de plus en plus dans cette figure. La sorcière contemporaine que l’on trouve dans les jeux vidéo, heroic fantasy, séries télé, etc. n’est plus représentée comme la vieille femme moche et courbée. Ce sont des femmes magnifiques qui montrent toute cette puissance féminine qu’elles détiennent. Même lorsqu’un élément connoté négativement ressort, comme le nez crochu ou les cheveux gris, c’est un symbole pour dire : “Allez vous faire voir, j’ai un nez crochu et je me le garde. Allez vous faire voir, mes cheveux deviennent gris et je ne vais pas me les faire teindre, ceci me regarde.” Même ces défauts physiques de la sorcière sont mis en avant pour désigner un choix. [...] Les femmes n’ont plus peur de se présenter comme les descendantes des sorcières, elles revendiquent cette filiation positive d’une sorcellerie blanche qui vient en aide à tout un chacun et célèbre le féminin. Je n’ai évidemment jamais rencontré dans le domaine public une personne qui se revendique sorcière maléfique en jetant des mauvais sorts et concoctant des potions dans le but de nuire aux autres.»


UN RITUEL OU UNE FIGURE DE SORCIERE MARQUANTE ?


Deux éléments ont interpellé Magali, le premier avec la représentation moderne et séduisante d’une figurine de sorcière aperçue dans une boutique médiévale et le second avec le « secret » pratiqué contre les verrues : « Les secrets se déroulent habituellement à distance - c’est une formule qu’on marmonne au téléphone - mais pour les verrues c’est une autre affaire car il existe un nombre impressionnant de rituels. Je me souviens avoir déniché une longue liste de méthodes où entre autres il fallait se procurer une limace, la percer puis l’enterrer. L’image de la sorcière m’avait immédiatement traversé l’esprit car ces pratiques s’effectuent souvent en fonction de la position de la lune ; par exemple, on frotte du lard ou une pomme de terre sur la verrue et on les enterre à la lune décroissante… Ces rituels sont pratiqués autant par les hommes que par les femmes, ce n’est pas propre au féminin. C’est complètement subjectif, mais ces méthodes m’avait fascinée ».

 

CONCLUSION

Doris Stauffer, Doris comme sorcière, 1978, © Bibliothèque nationale suisse

Toutes ces discussions, lectures, écoutes m’ont permis d’obtenir un nouveau regard sur la figure de la sorcière encore plus passionnant et complexe que je ne l’avais imaginé. Je dédie cet article à toutes ces personnes, principalement féminines, décédées lors de la chasse aux sorcières car il est primordial de souligner ceci : « La Suisse dans ses frontières actuelles détient un bien triste record européen de procès et d’exécution pendant la chasse aux sorcières. La Suisse a brûlé 10 fois plus de sorcières que la France, 100 fois plus que l’Italie. On compte 10’000 procès en Suisse pour pratiques de la sorcellerie, 6’000 exécutions (sans tenir compte des personnes qui se sont suicidées ou mortes en prison), 3’000 personnes traduites en justice pour sorcellerie et 2’000 exécutées publiquement dans le Pays de Vaud. » La dernière personne en Europe jugée pour sorcellerie est la suissesse Anna Göldin (morte en 1782) réhabilitée en 2008. L’UDC, le gouvernement glaronnais, les églises réformées catholiques ont fait durant quelques mois de la résistance à cette réhabilitation. D’autres femmes n’auront pas la chance d’être réhabilitées (comme Catherine Repond connue sous le nom de “la Catillon” à Fribourg en 1731). La figure de la sorcière contemporaine s’est aussi construite sur ce dur constat historique.


Aujourd’hui, comme nous l’avons vu, il existe deux penchants de la sorcière contemporaine : ésotérique et/ou politique. Puisque la sorcière en tant que telle n’existe pas, elle est un mythe à part entière, je partirai du constat suivant : la figure de la sorcière appartient à touxtes. Se sentir sorcière parce que l’on descend crier sa colère dans la rue le 14 juin, parce que l’on procède à des rituels qui nous font du bien ou pour d’autres raisons qui nous sont propres : sentons-nous libres car c’est peut-être le maître mot que l’on veut nous transmettre.


J’ai essayé de contacter la directrice du Hexenmuseum et sorcière affirmée Wicca Meier Spring qui confiait dans la presse qu’il existait plus de 3’000 sorcières actuellement en Suisse. Je n’ai pas réussi à avoir de ses nouvelles. Déçue, je me suis tournée vers Martine Ostorero pour lui demander si elle connaissait une véritable sorcière et elle me répondit : « Dans la tradition de ce qui est propre à la magie, c’est la tradition de l’occulte, donc, on ne se révèle pas ! ». Contrairement à cette communauté de sorcières, les guérisseur.se.s se révèlent aux yeux de touxtes pour aider la communauté via leur secret mais iels partagent ce même dénominateur commun : un pouvoir inexplicable qui intrigue et fascine.

Et je pense qu’au final, c’est ça qui à travers tous ces millénaires a travaillé notre imagination, peur, fascination, ré-appropriation culturelle et identitaire : la sorcière continuera de taire son secret. Son pouvoir le plus puissant ne serait-il pas d’occuper notre esprit depuis l’aube des temps et encore pour les générations à venir ?


Et peut-être que, de ne pas tout savoir nous rapproche de la réalité.


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